Oui, lecteur curieux que tu es, oui ! Il y avait du théâtre au Moyen Âge, et je sens bien que cette nouvelle te remplit d'une allegresse non dissimulée que tu voudrais pouvoir crier à la face du monde (ou peut-être pas). Ce n'est ni de la comédie, ni de la tragédie, ce n'est pas non plus de l'absurde, et ne parlons pas des performances contemporaines. Alors quoi ? Qu'est-ce donc que « faire du théâtre au Moyen Âge ? » Peut-être connaissez-vous La Farce de Maître Pathelin, vestige isolé que l'on fait parfois travailler au collège (si vous ne connaissez pas, aucune inquiétude, on a dit « parfois » pour ce qui est de la fréquence d'étude) ? C'est la pousse verdoyante qui dépasse de la neige et vous indique que « oui » cela existe, mais l'histoire littéraire a savamment oublié de retenir environ quatre-cent cinquante de ses amies en langue française, et sans doute autant à l'échelle européenne. C'est le moment de sortir sa loupe pour enquêter ! Il eût été impossible pour moi d'inaugurer cette section « littérature » du blog par un autre article que celui là. Lorsque j'étais jeune étudiante de troisième année de licence – pas que j'ai beaucoup vieilli depuis, cela dit – c'est en mettant le pied dans un cours sobrement intitulé « Aux sources des théâtres français (1150-1550) », dispensé à l'époque dans l'université où j'étais que j'ai rencontré à la fois le Moyen Âge, et le genre théâtral. Le second, je le connaissais surtout par les auteurs antiques et classiques, avec un amour immodéré pour Racine (comme beaucoup de monde), Sénèque (comme beaucoup moins de monde) et Aristophane (comme encore moins de monde !). Le premier, je n'en savais presque rien, et il me faisait l'effet d'une période sombre, longue, vague, et indéfinie de laquelle je retenais surtout quelques noms : Charlemagne, Clovis, Chrétien de Troyes dont je n'avais, au passage, jamais lu le moindre vers. Une nouvelle rencontre des deux était-elle possible ? Oui (admirons un instant, tout de même, l'absence de la moindre once d'hésitation à cette réponse, n'est-ce point émouvant ?). La société médiévale est spectaculaire à bien des égards : grandes processions, prédicateurs haranguant les foules sur la place du marché, rituels religieux en grande pompes, grands mystères qui, plusieurs jours durant occupent toutes la ville, troupes itinérantes, etc. Tout cela accoutume le chaland à un divertissement « par personnage », sur les planches (comprenons par là : avec de vrais acteurs incarnant des rôles de composition plus ou moins proche de ce qu'ils sont dans la vie réelle, car oui, la position du prêcheur qui sermonne ses ouailles peut être considéré, dans une moindre mesure comme une forme de "rôle" que l'on joue). Si, à l'heure actuelle, ce sont les écrans, les journaux et internet qui forment le ciment de l'opinion publique, du divertissement et de la connaissance de l'actualité ; dans un Moyen Âge où les lettres sont réservées à un petit cercle d'érudits, où les livres sont des objets rares et coûteux, et où tout écran de télévision serait un objet bien curieux et bien inutile, surtout, faute d'électricité, c'est bien le théâtre qui occupe cette charge d'information et de divertissement. La pratique théâtrale au Moyen Âge, c'est cela : des spectacles à caractère édifiants, politique, critiques, satiriques. Une agitation de l'ordre publique autant qu'une matière à s'amuser. En somme, un acte social et culturel autour duquel gravitent des milieux privilégiés, des professions et des coutumes particulières. Un « théâtre » inexistant, mais de multiples pratiques. Parlons peu – autant que possible sur ce foisonnant sujet – parlons bien, parlons vocabulaire. Le mot « théâtre » n'existe pas au Moyen Âge sinon en tant que vocable technique désignant un lieu architectural en Grèce antique (oui, c'est précis !). Si l'on veut évoquer la pratique ou les textes dramatiques qui en découlent, les mots et expressions de « jeu », « par personnage », « moralité », « farce », « mystère », « sottie » se bousculent. Mais nulle part il n'est question de « théâtre » ni en tant que pratique, ni en tant que lieu dédié au spectacle. Cela signifie-t-il que la pratique théâtrale du Moyen Âge n'ait pas de lieu ? Bien sur que non. Il en a, au contraire, de multiples, mais aucun qui ne soit spécifique à cette activité : églises, parvis, ruelles, places, cimetières, tréteaux dans les champs, villes entières dans le cas des mystères, salles communales ou attachées à une confrérie, on joue partout, mais il n'y a pas de lieu qui soit uniquement dédié à cette activité comme on en verra au XVIIe siècle par exemple. Le spectacle s'invite à tous les moments de l'année : grandes célébrations de l'année liturgique, entrée en ville de personnages importants, réjouissances de corps de métier ou de confréries. La pratique théâtrale entre même dans la formation des clercs, hommes de droits et enseignants : au moyen de petites saynètes écrites et jouées dans le cadre de cours, les jeunes gens peuvent apprendre à maîtriser la parole en publique et à faire montre d'inventivité par la mise en scène de situations (et cela leur donne même l'occasion d'écrire en latin leurs petites pièces ! Je ne doute pas que les quelques professeurs de latin lisant ces pages y verront un exercice ludique à proposer à leurs têtes blondes et brunes !). Et les acteurs, dans tout cela ? Il apparaît comme manifeste que si les lieux et occasions de jeu sont multiples, les profils d'acteurs le sont aussi. Pendant longtemps, l'on s'est figuré qu'il y avait au Moyen Âge des troupes telle celle de Molière quelques décennies plus tard : des acteurs professionnels, itinérants, maigrement payés et disgraciés par l'Église. La réalité est probablement plus nuancée. La catégorisation – aussi arbitraire que l'imaginaire des troupes – que proposent de nombreux spécialistes (Marie Bouhaïk-Gironès, notamment) serait aujourd'hui plus proche de la distinction suivante : - des acteurs amateurs, ne jouant que ponctuellement, dans le cadre de manifestations en ville tels les Mystères sur lesquels nous reviendront. Ce serait le tout venant pour lequel la pratique théâtrale est une activité rare, ponctuelle, probablement éloignée de ses préoccupations quotidiennes, et sans doute bien peu lucrative, si ce n'est à titre grâcieux. C'est un peu comme si l'étudiante que je suis était soudainement recrutée pour un match d'improvisation organisé par quelque association, faisait son office, et s'en retournait à sa vie quotidienne après cette enrichissante expérience. - des personnes en voie de professionnalisation, étudiants, clercs, apprentis dans le milieu du livre ou du droit. Le théâtre serait sans doute pour eux une façon d'apprendre à parler en public et à maîtriser le délicat exercice des joutes oratoires tout autant que de commencer à se faire un nom dans le milieu dans lequel ils évoluent. - des personnes dont le théâtre ne serait qu'une activité professionnelle parmi d'autres : les registres et les contrats passés entre les villes et des individus indiquent parfois (rarement) d'autres métiers pour lesdits acteurs : on trouve des médecins, des juristes, des avocats. On peut supposer que la pratique théâtrale serait une activité parmi d'autres – peut-être pour raisons financières ? – et que l'importance que chaque acteur donne à cette pratique dans sa vie varierait selon les moments de l'année, les occupations annexes, les impératifs financiers. - des personnes dont le spectacle serait l'activité principale, sinon l'unique activité : là encore, des suppositions. Les registres nous apprennent que les villes passent fréquemment des contrats avec des acteurs qui se retrouvent attachés à la commune pour un nombre de spectacles ou une durée. De même, les acteurs, entre eux, s'accordent dans des associations visant à diminuer les risques financiers d'un tel métier, et partager équitablement les gains, mais une fois encore, rien n'indique que ce soit leur seule activité professionnelle. On peut voir immédiatement les divers problèmes qui se posent aux spécialistes de la question : tous les contrats passés et conservés ne font pas état d'autres professions pour les acteurs (ou très rarement), mais cela ne veut pas dire qu'ils n'en aient pas. Si nous conservons les actes juridiques préludant aux associations d'artistes et les contrats passés entre les cités et les hommes de spectacle, cela ne veut pas non plus dire qu'il n'existait pas d'innombrables autres pratiques coutumières (contrats par la parole donnée, serments oraux) dont on ne ressentait pas le besoin de les fixer par écrit. Il est donc plus que certain que nous ayons perdu une bonne partie de ces coutumes d'associations et de jeu qui n'ont pas été mises par écrit, ce qui rend si difficile, désormais, l'appréhension de ce milieu. Tout cela est bien beau, mais que jouait-on, finalement, au Moyen Âge ? Le Moyen Âge, comme on le sait, est une très longue période. Ce que l'on appelle « Théâtre du Moyen Âge » regroupe en réalité de nombreuses pratiques diverses étalées tout au long des siècles (et probablement des régions). Les premiers moments du Théâtre en Français du Moyen Âge. Les premières heures du théâtre du Moyen Âge semblent se faire en langue latine, et être très marquées par l'Antiquité : on peut par exemple trouver des réécritures de Plaute et Térence – deux auteurs dont les pièces circulent dans les milieux érudits tout au long du Moyen Âge – sous la plume de Vital de Blois au XIIe siècle. On trouve également dans les cérémonies religieuses des « tropes » : ce sont des petites saynètes mettant en scène l'un ou l'autre passage de la Bible pour montrer aux fidèles les scènes clefs de l'ouvrage plutôt que de les expliquer. Le théâtre semble en effet plus efficace que la parole pour ce qui est de « prêcher par l'exemple ». Ces saynètes citent, naturellement, mot pour mot la Bible et il n'est pas question d'interpréter ou de dévoyer le message, seulement de l'illustrer. On trouve également des vies de Saints ou de prophètes de l'Ancien Testament (Daniel, par exemple). L'Église a une position assez ambiguë vis à vis du théâtre, puisqu'elle a toujours développé un discours visant à l'interdire : jouer du théâtre, c'est se cacher, se contorsionner, se déguiser, se défigurer, et, en somme, une atteinte au corps de l'homme et donc à Dieu qui créa l'homme à son image. Mais dans les faits, on se rend compte de l'impact pédagogique du théâtre, et de son utilité dans le cadre du prosélytisme, et on rechigne à se passer de ce moyen facile pour répandre la bonne parole. Le théâtre est, d'ailleurs, une arme de propagande massive au moment des querelles de religion au XVIe siècle. La première pièce en langue française est le Jeu d'Adam au XIIe siècle. C'est un texte neuf qui s'inspire de la Genèse, bien sur, mais qui n'est ni une traduction, ni une citation de la Bible. On raconte dans cette pièce comment le Diabolus (étymologiquement : diabolus = celui qui sépare ; ici le serpent) tente Eve et Adam, s'en suit l'épisode de la pomme puis la Chute. Le couple prie Dieu et demandent un miracle pour le salut de leur âme. Le deuxième mouvement du texte raconte le meurtre d'Abel par Caïn, et le troisième présente un défilé de Prophètes qui annoncent le salut à venir de l'humanité par la figure christique. Le manuscrit comporte des didascalies et des indications scéniques : il s'agit probablement d'un texte pratique destiné à la scène. Mais on peut également faire la supposition que ces remarques soient une aide à la lecture : les indications devenant une aide à la méditation sur le texte. Le XIIIe siècle connaît une « Explosion Arrageoise ». Si l'on n'a retrouvé, en langue française, qu'une seule pièce au XIIe siècle, on en a huit au siècle suivant, donc cinq issues de la ville d'Arras. Ces pièces sont très particulières en ce qu'elles traitent de thèmes revêtant une importance capitale pour les habitants de la ville : la circulation des biens et de l'argent (Arras est une plaque tournante économique européenne à cette époque), et l’identité locale (Cela fait moins d'un siècle qu'Arras et ses environs a été rattachée à la couronne de France). Ces pièces sont toutes originaire du recueil de la Confrérie des Bourgeois et Jongleurs d'Arras, une association culturelle qui semblait réunir les sommités de la ville et contribuer grandement à son rayonnement littéraire et artistique. Les pièces les plus connues de cette époque sont le Jeu de Saint Nicolas de Jean Bodel, ainsi que les deux pièces d'Adam de la Halle. Le Jeu de Saint Nicolas met en scène un pèlerin arrageois parti en pèlerinage en pays sarrasin : capturé il prétend que la statuette de Saint Nicolas qu'il a avec lui le protègera. Le roi local met au défi la puissance du Saint : il fait placer la statuette devant son trésor, laissé une nuit entière portes ouvertes et sans gardes. S'il manque ne serait-ce qu'une pièce le pèlerin sera tué. Naturellement, l'information circulant, un groupe de voleurs planifie – et accomplit – un larcin, la nuit venue. Mais le saint leur apparaît en rêve, les menace, et les amène à restituer le trésor. Au petit matin, le roi est fort étonné de constater que son trésor n'a pas été emmené, et, impressionné par le pouvoir du saint, il se converti. Le Jeu de la Feuillée est une réécriture de la pièce de Jean Bodel (les thématiques sont semblables, et on trouve de nombreux jeux d'échos entre les deux pièces, notamment les scènes de taverne). Adam de la Halle s'y met en scène sur le départ : l'amour l'a enchaîné à Arras, lui faisant prendre épouse, mais c'en est trop, il part à Paris étudier et devenir le grand intellectuel qu'il espère être. Malheureusement, de nombreux obstacles empêchent son départ : manque d'argent causé par l'avarice de son père, les pleurs de son épouse, une étrange maladie qui atteint Arras et fait enfler les corps, une femme enceinte qui n'arrive pas à accoucher. Pour résoudre tous ces problèmes que ni la médecine ni la religion ne parviennent à guérir, on fait appel aux Fées que l'on convie lors d'un grand banquet. Malheureusement, la réception n'étant pas à leur goût – erreur fatale, Adam et ses amis ont omis un couvert pour l'une des fées – la malédiction dont souffre Arras et Adam de la Halle est reconduite, coupant court à tous ses projets de départ. Le jeu de Robin et Marion, quant à lui, est une pièce parodiant un genre lyrique de l'époque : la pastourelle. Dans ce genre lyrique, il est de coutume qu'un chevalier revenant de la chasse tombe sur une bergère à son goût et s'octroie ses faveurs de gré ou de force. C'est ainsi que commence notre pièce : Marion, une jeune bergère, est abordée par un chevalier. Mais, en jouant à celle qui ne comprend pas où son vis à vis veut en venir (à savoir, batifoler dans les hautes herbes), elle parvient à lui échapper, retournant la pastourelle à son avantage. S'en suivent des festivités entre bergers où l'on joue à des jeux, notamment à être des nobles. Le glissement est d'autant plus intéressant que cette pièce a probablement été jouée par et pour des bourgeois ou des nobles jouant des paysans qui jouent à la noblesse. Ces glissements permettent la satyre et la mise à distance de l'ordre social. Mais au XIVe siècle survient la Guerre de Cent Ans. Ce profond trouble politique fait passer les festivité et le spectacle au second plan. On trouve encore des manifestations dramatiques ou des mises par personnages (les romans à la mode, les traités spirituels et les chansons de geste sont portés à la scène, un peu à la manière dont adapte, de nos jours, les best sellers au cinéma), mais elles se font plus rares et plus discrètes : on manque d'argent pour le divertissement culturel. On peut citer, par exemple, durant cette période l'Estoire de Griseldis, véritable succès de librairie de l'époque, qui met en scène un mari dont la femme semble parfaite à tous points de vue. Soupçonneux, il décide d'éprouver la vertu de sa femme par des épreuves : il la répudie, lui ôte la garde de ses enfants, l'envoie vivre parmi ses gens de maison, et Griseldis endure tout. Rassuré, alors, quant à la vertu de son épouse, il la rétablit dans ses droits, faisant ainsi l'éloge de l'obéissance et de la constance chez les épouses. Le Siècle d'Or du Théâtre médiéval Le XVe et le début du XVIe siècle sont un moment de renouveau théâtral en Europe. Le courant humaniste se développe et avec lui les textes antiques et contemporains circulent au-delà des frontières et des inimitiés politiques. Cette culture européenne est l'une des clefs qui permet de comprendre le théâtre de cette époque. Bien que cet article ait surtout pour but d'exposer quelques pistes pour les corpus en langue française, il est bon de savoir qu'il existe semblables manifestations aux Pays Bas, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Italie et dans le reste de l'Europe, chaque zone géographique ayant souvent ses spécialités, ses thèmes et formes de prédilection. A cette époque, quatre formes de théâtre semblent émerger, avec, pour les qualifier, des mots nouveaux que sont « farce », « moralité », « sottie », « mystère ». Fait qui complique singulièrement la tâche du chercheur : il n'existe pas d'ouvrages de théorisation à la manière de la Poétique d'Aristote , et les préfaces aux pièces sont très rares (je n'en ai qu'une en tête au moment où j'écris cet article, celle de la Condamnation de Banquet). Tout au plus a-t-on parfois un semblant de prologue, ou quelques vers servant d'indice dans le début des pièces. Il ne nous reste donc qu'à deviner à quoi correspondent ces termes par recoupement. La Farce est sans doute le type de pièce le plus connu du grand public. Ce genre a la réputation d'avoir inspiré les Fourberies de Scapin de Molière, et on le décrit souvent comme un genre grossier, jouant sur les scènes équivoques, les allusions sexuelles, et tout ce qui ce qui semblerait grivois de près ou de loin. En réalité, le terme de « farce » désigne surtout la brièveté de ces pièces dont on peut « farcir » des spectacles plus longs. Pauses légères au milieu d'une représentation plus sérieuse, la farce joue volontiers sur les expressions figées, et les doubles sens. Nombres de ces pièces ont pour sujet l'acte charnel (la farce des femmes qui apprennent le latin par exemple met en scène quatre femmes qui, pour s'assurer un empire sur leur époux, veulent apprendre le latin, expression renvoyant à l'acte sexuel), le comique social (la Farce de Maître Pathelin met en scène un homme qui roule son drapier en se faisant passer pour mourant), et une grande sensibilité pour les questions de langue (la farce de Maître Mimin Etudiant met, par exemple, en scène un étudiant que ses études ont si bien formaté qu'il ne sait plus parler qu'un latin de cuisine, mais a totalement désappris sa langue maternelle, le français. Ses parents et sa fiancée l'enferment donc en cage pour lui réapprendre le français ainsi qu'on ferait l'éducation d'un perroquet.). La Moralité est une pièce courte également, qui mise sur l'efficacité individuelle et collective du théâtre. Les personnages allégoriques que les moralités mettent assez fréquemment (mais pas systématiquement) en scène ont pour vocation d'incarner des modèles de bonne ou de mauvaise conduite à la fois sur le plan individuel (Bien Advisé Mal Advisé ou le Pèlerinage de Vie Humaine mettent en scène une allégorie de l'humanité qui, cheminant, est confronté à la fois à la tentation du mal et aux enseignements du bien. Si l'allégorie se conduit de façon morale, le terme de sa route est naturellement le paradis, et dans le cas contraire, elle est promise à l'enfer.) et collectif (une pièce comme les Bergers qui gardent l'Agneau de France met en scène trois bergers qui gardent un agneau et le protègent de Dame Pique. Ce dernier symbolise probablement le roi de France, signifiant par la même occasion que le roi en question serait en proie à des mauvais conseillers ce dont les acteurs de la pièce, ici représentés par les Bergers, essaient de l'avertir.). La Sottie est sans doute la forme théâtrale qui nous soit la plus difficile d'accès, désormais. Ces pièces mettent en scène des « sots » ou « fous ». La folie du personnage lui offre une liberté absolu dans le discours, et autorise jusqu'aux propos les plus subversifs. On comprend alors que la sottie est une pièce profondément liée au contexte historique et géographique de sa représentation : ce sont des événements d'actualité, des classes sociales, des particuliers que le discours du sot vise. De façon assez intéressante, la sottie et la moralités sont toutes deux pensées comme des moyens d'action sur le public, comme des médias propres à éveiller le jugement critique et l'agilité d'esprit du public : il faut décoder, décrypter, comprendre ce que le fatiste et les acteurs pointent dans leur représentation. On peut, par exemple, noter la Sottie du Prince des Sots de Pierre Gringore qui sacre « prince des sots » le pape, ou la Sottie des Béguins, jouée à Genève alors que la censure fait rage : elle met en scène une troupe qui souhaite jouer mais qui se rend compte qu'une partie des costumes a disparu, on ne peut donc jouer librement puisque la censure (qui dépouille les textes comme sont dépouillés les acteurs) règne. Le Mystère, enfin, est sans doute la forme la plus ambitieuse et étonnante de spectacle au Moyen Âge. Il s'agit de longues pièces commandées par les villes et jouées à intervalles réguliers lors de grandes manifestations urbaines. Les mystères représentent en général une trentaine d'heure de jeu étalés sur plusieurs jours de représentation – ce qui exige un dramaturge aguerri et une organisation impeccable. Seuls les habitants de la ville étaient autorisés à y tenir un rôle, et monter de tels spectacles grevait le budget des villes sur plusieurs décennies. Toutefois, de telles manifestation permettent de montrer la puissance culturelle d'une ville, et attirent les visiteurs à des kilomètres à la ronde. C'est alors l'occasion pour chacun de mettre la main à la pâte, et de s'investir dans cet événement exceptionnel. Les textes sont en général fortement inspirés des thèmes religieux : le Mystère de la Passion d'Eustache Mercadé est le premier exemple – arrageois, une fois encore ! - que nous ayons, et celui d'Arnoul Gréban mettent tous deux en scène les derniers jours du Christ. Mais on trouve également des mystères à sujet historique, certains racontent des fondations de ville (celui Reims ou de Metz, par exemple) grâce à l'action d'un saint, d'autres narrent des événements marquants, comme le Mystère du Siège d'Orléans d'André de la Vigne qui explique comment Jeanne d'Arc a sauvé la ville. Cet article et son auteur doivent beaucoup à l'excellent cours magistral « Aux sources des théâtres français (1150-1550) » dispensés par Estelle Doudet à l'université de Lille 3, il y a de cela quelques années, et qui fut une véritable révélation. Sources Ch. Mazouer, Le Théâtre français du Moyen Âge, Paris, Sedes, 1998 E. Koningson, L'espace théâtral médiéval, Paris, CNRS, 1975 M. Bouhaïk-Gironès, "Comment faire l'histoire de l'acteur au Moyen Âge", Médiévales, 59, automne 2010, En ligne sur Academia. E. Doudet, V. Méot-Bourquin, D. Jame-Raoul, Adam le Bossu, le Jeu de la Feuillée, le Jeu de Robin et Marion, Jean Bodel, Le jeu de saint Nicolas, Paris, Atlante, Clefs concours, 2008. A. Tissier, Recueil de Farces (1450-1550), Genève, Droz, depuis 1988, 12 t. J. Beck, E. Doudet et A. Hindley, Recueil général de Moralités d'Expression Française, Paris, Classiques Garnier, depuis 2012, t1 et 3. E. Picot, Recueil Général de Sotties, [en ligne sur Gallica], 1902, Tome 1 ; Tome 2 ; Tome 3 M. Bouhaïk-Gironès, J. Koopmans, K. Lavéant, Recueil des Sotties françaises, Paris, Classiques Garnier, depuis 2014, t1. G. Runnalls, Etude sur les Mystères, Paris, Champion, 1998
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