Avant toute chose, permettez-moi de vous souhaiter à tous et toutes une très heureuse année 2018. J’espère qu’elle vous sera profitable, pleine de belles surprises et d’un zeste de Moyen Âge ! Le rythme de publication est un peu erratique ici, j’en ai conscience, mais les premiers mois de thèse ont nécessité quelques ajustements. Me voici donc venir par ici pour donner des nouvelles ! Je vous rassure : je ne pousse pas encore le médiévalisme à m'éclairer à la bougie ! « Maman, je veux faire une thèse ! » L’exercice d’une thèse de doctorat peut paraître un peu exotique pour qui n’est pas dans le milieu universitaire. Rassurez-vous, même quand on est dedans, ça peut paraître exotique. Il est vrai que lorsqu’on décide de se lancer dans une telle entreprise, on a rarement une juste appréhension de ce que demandera ce travail. Car oui, une bonne fois pour toutes : la thèse est un job à part entière. Mon sujet s’est imposé à moi sur une sorte de coup de tête : en master, j’éditais des pièces de théâtre médiévales, et j’étais frappée de l’âpreté de certains discours à charge. Est-ce qu’aujourd’hui on tolérerait des pièces de théâtre parodiant vertement le pouvoir en place, ou accusant ad nominem des notables de corruption ? Cela ne se fait plus sur les scènes mais dans des billets de blogs ou sur des chaînes youtube. Le théâtre était le youtube médiéval (si ce n'est pas la classe absolue, ça). J’ai donc voulu travailler sur quelque chose nomme « le théâtre politique au Moyen Âge ». Et c’était tout. Une première idée que je ne savais pas par où attraper. Je travaille toujours sous la direction du même professeur qu’à l’époque de mon master. J’ai la chance d’avoir à portée de mail quelqu’un de compétent, passionné réactif et spécialiste de mon sujet avec qui je m’entends bien ; en somme, la perle rare. Beaucoup de témoignages d’étudiant en thèse que j’ai lus ou entendus témoignent d'une impression d'être « laissés seuls avec leur thèse » lorsque le directeur de recherches n'encadre pas suffisamment à leur goût. Ce n’est pas mon cas : je suis bien entourée, à la fois par les enseignants médiévistes de mon université, par ceux présents dans l’équipe de recherche où je suis, et par ma directrice de recherches. Bien entourée, donc, mais seule à être capable de faire le boulot. Et de quel boulot parle-t-on ? Rédiger une thèse… oui mais qu’est-ce qu’une thèse ? Elle prend traditionnellement la forme d’un livre de 400 ou 500 pages, parfois davantage, qui présente un cheminement intellectuel argumenté sur un sujet. Un cheminement intellectuel argumenté, ça veut dire deux choses : d’une part, il faut faire des recherches, de façon à avoir des textes, des « preuves », et d’autres sons de cloche à présenter ; d’autre part, cela nécessite votre implication totale. Pendant quelques années (quatre ou cinq ans, en sciences humaines, généralement), tout ce que vous ferez tournera autour de ce même sujet dans lequel il faut « rentrer ». Lectures diverses, enquêtes sur les textes, dans les bibliothèques, dans les archives, rencontres de spécialistes, échanges de mails, doutes, beaucoup de thé. A cela s’ajoute une tendance à tout « ramener » à votre sujet : vous lisez un roman pour vous détendre ? Damned, cette phrase vous fait penser à votre thèse ! Vous allez au cinéma ? Vous vous mettez à analyser la « mise en scène » de chaque image pour y chercher le politique (ne riez pas, ça me l’a fait sur Star Wars 8…). Un corpus de thèse normal... oh wait ! Un projet de thèse Une fois que vous avez signé auprès de votre directeur ou directrice de recherches, et que vous êtes partant, que faire ? C’est bon, c’est officiel, « oui, je vais écrire un livre de 500 pages décrivant et argumentant mon cheminement intellectuel sur l’épineuse question du théâtre politique au Moyen Âge ». Eh bien dans nos sociétés modernes, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Il faut donc trouver, désormais, un moyen de subsistance pour pouvoir faire sa recherche tranquillement… Disons en pouvant s’alimenter et sans avoir à dormir sous un pont. Nombre de doctorants en sciences humaines sont dans une situation assez précaire : rares sont les « contrats doctoraux », ces financements alloués par l’université, et beaucoup doivent donc travailler pour se payer le « luxe » de… travailler encore plus en faisant une thèse ! J’ai, pour ma part, fait une demande de contrat doctoral ; était alors demandé un « projet de thèse », c’est à dire un bref exposé des enjeux de la thèse : sur quels textes vais-je travailler ? Pourquoi choisir ce sujet et cet angle d’approche ? Comment vais-je mettre en œuvre mon enquête ? Que cherché-je au juste ? Pourquoi devriez-vous me financer ? Le projet de thèse a deux objectifs : mettre en forme son sujet de recherche d’une part, en définissant ses enjeux, un premier corpus, des axes de recherche, et d’autre part « vendre » le sujet pour qu’il soit accepté par les universités et écoles doctorales. L’étape du projet de thèse a pour moi été très importante. Elle m’a permis de me poser les bonnes questions : qu’est-ce que je veux faire de ces trois (ou plus) ans passés sur ce sujet ? Quelles questions dois-je me poser ? Pourquoi souhaité-je travailler sur un tel sujet ? Pourquoi le Moyen Âge ? Pourquoi le théâtre politique ? Pourquoi la vie ? … bon, d’accord, peut-être pas « pourquoi la vie ? » Une fois ce projet de thèse en main, j’avais un certain nombre d’outils et de pistes : j’avais dû, pour le projet, constituer une bibliographie et un corpus provisoire de textes de théâtre « politiques », ce qui m’avait apporté quelques outils de théorie littéraire, de sociologie, d’historiographie et d’épistémologie. Contrat doctoral en poche, et projet de thèse comme guide, j’ai pu me lancer ! Un périple parisien normal pour aller consulter le Jardin de Jennes, BnF Rotschild 3018 Commencer sa thèse Et voici où j’en suis : je « commence ma thèse ». Qu’est-ce que cela implique ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien plusieurs choses ! Pour ma part, travaillant sur des textes peu connus, peu édités et quelque peu perdus dans les collections anciennes des bibliothèques, j’ai commencé par mettre le nez dans mon corpus pour lire et décortiquer chaque texte. Une lecture de surface n’est pas suffisante, et, de façon générale, une lecture n’est pas suffisante. En littérature, le texte est la matière première sur laquelle on construit son raisonnement, la glaise que l’on façonne pour obtenir le pot que sera la thèse : et dans ce pot, il y aura notre pensée. J’ai donc consacré mes premiers mois de thèse à de la lecture (beaucoup de lecture) et à la traque de pièces médiévales ou renaissantes en bibliothèque. Les divers sites de la Bibliothèque nationale de Paris m’ont ainsi vue fréquemment au cours des derniers mois de 2017 ! J’ai pu ainsi découvrir le Fichier Picot dont je parlais dans l’article précédent, mais également des pièces imprimées comme le Jardin de Jennes (début XVIe), la Couvée des Anglais (1523) et les Bergeries et Eglogues de Ferrand de Bez (fin XVIe). Mes lectures d’ouvrages « critiques » ont été aussi nombreuses : thèses sur la mise en scène, ouvrage sur ce qu’est le théâtre, bouquins d’histoire. Le tout est de ne jamais cesser d’ouvrir des pistes, de défricher : la conclusion n’est pas aussi importante que le cheminement. Il n’est pas important pour moi de dire au monde « ce qu’est exactement le théâtre politique au Moyen Âge », en revanche, il est important pour moi de montrer que l’expression « théâtre politique » peut correspondre à tout un spectre de pratiques et de définitions différentes. Pour le moment, j’écris assez peu. J’ai réalisé un premier plan de travail en regroupant mes axes de recherches et mes pistes en six grands « dossiers » que j’avance pour le moment conjointement. Dès que je vois quelque chose qui peut être intéressant pour l’un de ces dossiers, je le note dans le fichier papier correspondant de façon à collecter des citations, des questions, des bouts de réflexion sur ces différents aspects de ma thèse. Je travaille, lis et relis les textes pour en tirer des choses intéressantes, et surtout : je vais à la rencontre des gens. J'aime à croire que si une thèse s'écrit seul, elle peut se penser à plusieurs. Je participe à des formations, des stages, des séminaires, certains en lien direct avec mon sujet de recherche, d'autres un peu plus éloignés ou généralistes sur le Moyen Âge (comme l'équipe de jeunes chercheurs médiévistes Questes ou son équivalent à Genève les JCM). Les rencontres et discussions que l'on y noue sont porteuses de nouvelles questions, de découvertes et de chouettes moments. Théâtre médiéval et tir à l'arc japonais Je m’octroie le droit de faire ici une petite parenthèse sur l’un des stages qui m’a particulièrement marquée. C’était un workshop de trois jours en compagnie de l'artiste plasticien Julien Prévieux où il s’agissait de réfléchir aux gestes dans nos sociétés contemporaines. Travaillant sur le théâtre médiéval où les seules traces de geste qui nous parviennent sont des didascalies et parfois des enluminures ou bois gravés, cette question me touchait tout particulièrement. Comment pourrions-nous remettre en scène des pièces médiévales ? Pouvons-nous reconstituer quelque chose d’aussi volatile que des gestes et des attitudes de scène à partir d’illustrations et de description ? J’ai voulu tenter une expérience : j’ai pris un domaine que je connaissais bien mais que peu de monde dans la salle risquait de connaître, le Kyudo, le tir à l’arc japonais, et ai proposé aux participants, sur une base d’iconographie d’apprendre à tirer à l’arc avec différents niveaux d’images qui étaient, selon moi, de la plus neutre à la plus explicative : je leur ai présenté des photos, des schémas d’un livre spécialisé sur le kyudo et des vidéos. Les photos ont permis de détailler les étapes du tir et de « voir » ce que devait donner une position de l’extérieur. Les schémas ont montré comment cette position se construisait par un bon agencement des différents membres du corps, et la vidéo permettait de faire un lien entre toutes les étapes en donnant à voir le cérémoniel d’un sharei, le tir de cérémonie. Ce fut une expérience riche pour moi – il a fallut mettre à l’épreuve mes talents de pédagogue – et amusante pour tous et toutes ; je ne peux donc que remercier ici bien chaleureusement tous les participants de s’être prêtés au jeu, les féliciter d’avoir réussi à reconstituer les différentes étapes du tir, et remercier Julien Prévieux d’avoir gentiment pris quelques photos de l’événement.
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Une vie de médiéviste |