Toi, oui, toi le curieux lecteur qui est tombé sur ce coin du web, n'as-tu jamais brûlé de l'ardent désir de répondre aux questions existentielles que personne ne se pose? Ne t'es-tu pas interrogé sur ce point si ardu que nous allons parcourir ici, tous ensemble, avec deux dolipranes, une tasse de thé, et une part de tartes aux pommes? « Bon, t'es mignonne avec tes questions, mais... qu'est-on censés se demander au juste ? » Eh bien, au juste, vous êtes censés vous dire, avec peu ou proue de conviction, que je suis bien gentille à claironner sur tous les toits que je fais un blog sur le Moyen Âge, mais que, juste comme ça, au cas où, ça serait peut-être cool que l'on se mette d'accord sur ce que c'est le Moyen Âge, voilà. (Et si vous ne vous étiez pas posé la question, ce n'est pas grave, répondons-y tout de même !) Des bornes chronologiques qui font avancer la théorie du chaos Souvent décrié, souvent plaqué abusivement dans les copies, souvent utilisé, citons Wikipédia, et tant pis si cela ruine par avance toute la crédibilité de l'article (mais que cela ne soit pas une excuse pour ne pas lire la suite !). Wikipédia nous dit la chose suivante, donc, « Le Moyen Âge est une période de l'histoire européenne, s'étendant du Ve siècle au XVe siècle, qui débuta avec l'effondrement de l'Empire romain d'Occident et se termina par la Renaissance et les Grandes découvertes. Située entre l'Antiquité et l'époque moderne, la période est subdivisée entre le haut Moyen Âge (VIe ‑ Xe siècle), le Moyen Âge central (XIe ‑ XIIIe siècle) et le Moyen Âge tardif (XIVe ‑ XVe siècle). ». Ce terme de Moyen Âge, donc, recouperait environ un millénaire d'histoire, depuis la chute de l'Empire Romain d'Occident (autrement dit, lorsque l'Empire Byzantin prend la ville de Rome et dépose son dernier empereur à la fin du Ve siècle) jusqu'aux grandes découvertes de la Renaissance, au XVIe siècle (Christophe Colomb, l'humanisme, la redécouverte des savants antiques, tout ceci !). Ce même Moyen Âge serait découpé en trois mouvements de quelques siècles chacun pour lesquels on pourrait sans doute choisir des événements déterminants en guise de rupture. On pourrait par exemple supposer que la transition entre le Haut Moyen Âge et le Moyen Âge Central, si l'on peut dire, se ferait lors de la fin de l'Empire Carolingien, marqué par la mort de Lothaire Ier, en 924. De même, on pourrait décider d'une date pour la transition entre le Moyen Âge Central et le Moyen Âge Tardif avec le début de la Guerre de Cent Ans en 1337 par exemple. Tout ceci nous donnerait une belle chronologie bien propre et bien cadrée. Mais les plus historiens de mes lecteurs sentent déjà que cela est mal parti. Soyons curieux, et poussons l'exploration un peu du côté de l'encyclopédie Larousse en Ligne. Celle-ci nous définit le Moyen Âge de la façon qui suit : « Pour délimiter un cadre chronologique à ce long « Moyen Âge », on ne peut se référer à des dates politiques. Si 395 marque la fin de l'unité de l'Empire romain, avec la séparation entre Empire d'Orient et Empire d'Occident, 476 voit la disparition du dernier empereur romain d'Occident. À l'autre extrémité de la période, la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453 est surtout significative pour l'Orient ; en Occident, on pourrait se référer à la mort du dernier roi « médiéval », Louis XI de France, en 1483. Il n’en demeure pas moins que le voyage de Christophe Colomb en 1492, lourd de conséquences, est la date communément admise pour définir la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne. » Ce sont là les bornes chronologiques que j'ai rencontrées le plus souvent, pour ma part : 476 pour le début de cette longue période, 1492 pour sa fin, j'ignore si ce sont les plus fréquemment enseignées, mais c'est en tous cas celles que j'avais en tête en commençant cet article. On remarque ici qu'il n'est plus question de scinder le Moyen Âge en périodes internes, et c'est probablement une bonne chose puisque la chronologie proposée précédemment était un chouïa arbitraire. Les dates indiquées plus haut par les pages de Wikipédia étaient, en effet, extrêmement artificielles : pourquoi, par exemple, faire commencer une nouvelle période avec le début d'une guerre ? Y a-t-il un avant la Guerre de Cent Ans, et un après ? Même question pour ce qui est de la mort de Lothaire Ier qui marquerait la transition entre le Haut Moyen Âge et le Moyen Âge Central. A l'échelle de ces nombreux siècles, on peut très vite remarquer que non : ces dates ne furent pas plus marquantes que d'autres, ce qui invaliderait leur usage. Quant aux bornes présentées ici par le Larousse, 476 pour le début de la période et 1492 pour sa fin, que peut-on en dire ? La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb a mené à bien des révolutions, naturellement, mais cette découverte a-t-elle une incidence directe sur la vie de l'homme moyen (ou de la femme moyenne, ne soyons pas sectaire) à cette époque ? En vérité, on ne ressent que très progressivement la découverte de ce nouveau Monde : ce qu'on appelle le commerce triangulaire (c'est à dire les échanges commerciaux entre l'Afrique, les Amériques et l'Europe) ne se met en place, par exemple, qu'au XVIIIe siècle. Et il convient de rappeler également que Christophe Colomb pensait avoir trouvé une nouvelle route vers les Indes et non pas avoir découvert un nouveau continent, le changement des mentalités, des us et coutumes et l'acquisition de nombreuses nouveautés ne suit pas immédiatement cette découverte, et touche en premier lieu les couches privilégiées de la société (en somme, la part la plus aisée de la noblesse). Il apparaît limpide que l'on soit bien en peine de délimiter chronologiquement notre Moyen Âge. Nous en sommes à « c'est la période entre l'Antiquité et la Renaissance » sans plus de conviction ni de progrès qu'au début de ce petit papier virtuel. (Et l'on commence à se dire, aussi, que ça devient sacrément problématique d'essayer de délimiter le Moyen Âge, et que ça ne nous avance absolument pas sur la définition de la période !) Un « Long Moyen Âge » On doit l'expression à Jacques Le Goff, historien et médiéviste qui, dans son dernier ouvrage Faut-il vraiment découper l'Histoire en tranche ? se pose les mêmes questions que nous dans ce petit billet : comment délimiter le Moyen Âge ? Il souligne en premier lieu que Plutarque, au XIVe siècle, parle déjà d'un « medias aetas », c'est à dire d'un âge intermédiaire entre les splendeurs de l'Empire Romain, oh combien glorieux passé s'il en est, et le temps actuel. Le Moyen Âge, ce serait donc bel et bien cet entre-deux entre une Antiquité révolue et une époque moderne actuelle. Cet époque intermédiaire est longue, comme on l'a vu : souvent une dizaine de siècles, durant lesquels on peut percevoir à la fois un fourmillement de périodes. Il est évident que l'époque de Charlemagne aux VIIIe et IXe siècle n'est pas l'époque de Guillaume de Machaut, auteur du XIVe siècle ni celle de Christine de Pizan au XVe. Cependant, on peine à trouver des points de rupture signifiants. Rien de l'ampleur de la Révolution Française, ou des Guerres Mondiales pour marquer des tournants décisifs. L'évolution a été continue, lente, longue, de sorte que toute découpe paraisse bien artificielle. Même la découpe entre le Moyen Âge et la Renaissance semble arbitraire, et là, mes amis, c'est la fin des haricots ! Elle l'est, en vérité, puisque la Renaissance est une période « inventée », si l'on peut dire, par Jules Michelet, historien du XIXe siècle, et popularisée lors du cours qu'il donna en 1840 au Collège de France. Cette idée de la Renaissance se construit en miroir d'une idée très ancienne qu'est celle de l'obscur Moyen Âge, ou Dark Ages comme l'appellent les anglophones où ne régnait que barbarie et coutumes arriérées. On doit ce portrait très peu flatteur de la période à des générations d'écrivains et de penseurs qui se sont relayés avec une constance admirable pour souligner combien ces temps étaient sombres et peu reluisants. Voltaire, par exemple, a douché les dernières braises de sympathie que j'avais à son égard en claironnant que le Moyen Âge « est le dernier degré d'une barbarie brutale et absurde de maintenir, par des délateurs et des bourreaux, la religion d'un dieu que des bourreaux firent périr. » ou en exprimant cette idée selon laquelle « La comparaison de ces siècles avec le nôtre (quelques perversités et quelques malheurs que nous puissions y trouver) doit nous faire sentir notre bonheur. » A l'inverse de cette sombre période il y aurait donc la brillante Renaissance, qui serait un retour à la splendeur de la civilisation antique que l'on redécouvre et que l'on prise à cette époque. S'il est vrai que la Renaissance a vu la redécouverte de nombreux textes de l'Antiquité que l'on pensait perdus au Moyen Âge, il convient tout de même de nuancer un peu le propos : le Moyen Âge n'a jamais oublié le passé Antique. Des auteurs comme Aristote, Cicéron, ou Augustin d'Hippone (Saint Augustin) sont des références aussi connues que prisées des savants du Moyen Âge. Il y a également dès le XIIe siècle une tradition de « mise en roman », c'est à dire en langue française, des œuvres antiques, ainsi qu'en attestent des ouvrages comme l'Enéas, réécriture de l'Enéide de Virgile, ou l'Ovide Moralisé, vers le XIVe siècle, qui réécrit les Métamorphoses d'Ovide. Finalement, donc, ce long Moyen Âge, qu'est-ce donc ? Une période indéniablement de longue durée, qui succèderait à l'Antiquité, et qui se poursuivrait jusqu'au XVIIIe siècle (Le Goff n'a peur de rien, rendons-lui hommage à ce propos !). Pour définir cette période, Le Goff, utilise comme argument principal les continuités sociales, religieuses, et politiques que l'on voit sur ce temps : par exemple, bien qu'il y ait une fracture au moment des guerres de religion du XVIe siècle, ce n'est pas la croyances chrétienne qui est remise en cause, mais l'institution ecclésiastique. Ces guerres de religion sont donc, à l'origine, davantage des scissions politiques, liées à la gestion du culte par Rome, et à son manque de transparence avec le croyant érudit, que de profonds bouleversements de la foi comme a pu l'être la naissance du Christianisme par exemple, qui a amené une profonde rupture dans la pensée du divin durant l'Antiquité. Ces scissions ont ensuite dégénéré en sanglantes guerres que l'on connaît. Et donc, ce Moyen Âge, tu nous dis ce que c'est, ou bien il faut qu'on devine? Eh bien ce Moyen Âge, c'est une période indéfinissable aux bornes floues. On ne peut pas réfuter les dates qui ont été données plus haut, elles ne sont pas erronées ni fausses, cependant, je répugne à les prendre pour bornes fixes et définitives. Il convient toujours de se souvenir que l'histoire est une construction a posteriori. Notre « ici et maintenant » sera toujours le Moyen Âge d'une génération ultérieure, tout comme le Moyen Âge a été l'« ici et maintenant » d'autres êtres huamins. Je vois ces bornes plutôt comme des repères souples qui découpent le temps pour aider à mieux l'appréhender mais dont les traditions littéraires, les coutumes, ou les mentalités peuvent allègrement se passer. Il est aussi radicalement stupide de dire qu'il y a une rupture nette au tournant du XVe siècle, sous prétexte de l'Humanisme, qui changerait d'un claquement de doigts toute la société, toutes ses préoccupations, ses coutumes, et ses croyances. De la même façon, il serait stupide de considérer, dans le geste inverse, qu'il n'y a aucun bouleversement majeur qui se fait au XVIe siècle, seulement, il faut, à chaque fois, mesurer précisément quelles strates de la population ces bouleversements touchent : le badaud qui aime aller assister à une représentation de la Farce de Maître Pathelin au XVIe siècle évolue-t-il dans les mêmes sphères que celui qui demande à ce que l'on autorise la traduction de la Bible ? L'érudit qui veut faire découvrir les vers splendides de Virgile à ses contemporains lit-il les mêmes choses que le bourgeois fortuné en quête de divertissement ? Le Moyen Âge, ce serait donc cela : une facilité d'esprit, qui regroupe une période d'une dizaine de siècles, aux délimitations fluctuantes (selon les corpus ou les pratiques précises que l'on étudie), et qui permet de mieux segmenter notre histoire sans pour autant avoir des bornes infranchissables et immuables, puisque l'histoire s'écrit en continuité. Il y a bien sur des mutations qui se font de façon plus ou moins abruptement, mais de façon globale, il n'y a aucun remise à zéro des compteurs à chaque changement de période ou de siècle, et toute période pioche autant dans les époques antérieurs qu'elle n'offre matière à préparer les temps à venir. Sources
Wikipédia, page « Moyen Âge », consultée le 16 Nov. 2015 [lien] Encyclopédie Larousse en Ligne, page « Moyen Âge », consultée le 16 Nov. 2015 [lien] Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ?, Paris, Editions du Seuil, 2014. Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des Nations, édition en ligne, p.64. [lien] Mille excuses pour la piètre qualité des illustrations, l'étudiante que je suis n'a pas encore eu les moyens d'investir dans un scanner, et leur version "propre" devra donc attendre les vacances au domicile familial!
6 Commentaires
Black Falcon
18/11/2015 11:17:53
J'ai lu ton article, il est franchement très intéressant. Comme tu sais, le Moyen Âge, ça me dépasse un peu beaucoup (j'espère quand même que je ne t'ai jamais paru condescendante en parlant Moyen Âge avec toi!), mais c'est une réflexion intéressante sur la construction des périodes historiques, et le fait que l'on lit toujours l'histoire après coup, même pour l'histoire hyper récente, suffit de voir tout le tintouin médiatique de cette semaine U_U" (et je crois que ça n'ira pas en s'arrangeant, mais on a déjà discuté de tout ça ^^)
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Mon petit Faucoooooon <3
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Black Falcon
20/11/2015 11:21:29
Oh, ben ça va alors. Et puis je ne déteste pas non plus le Moyen Âge, c'est juste qu'on est loin de la programmation et de la littérature chinoise quoi (et je maintiens que Sun Tzu est un dieu!) x) Mais c'est assez marrant ton approche sur ce blog, en fait, parce que les gens manipulent ces périodes, parlent du Moyen Âge, de la Renaissance, de l'Antiquité, et ne les remettent pas en cause, finalement. Je ne jette pas de pierre, hein? Je fais la même chose, je raisonne en siècles et en grandes périodes, et c'est vrai que c'est archi-artificiel quand on y réfléchit U_U
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Ah c'est certain qu'on s'en éloigne radicalement, je ne te le fais pas dire =) Pour l'approche, à vrai dire, je ne me suis pas vraiment posé de questions quand j'ai commencé à travailler sur cette période en troisième année de licence, c'est après que c'est venu. Un peu comme les allégories en ce moment : tu lis plein de choses sur un sujet, et au bout d'un moment, fatalement, tu te demandes "mais au fait, cet objet que j'essaie d'appréhender, comment pourrais-je le définir?" Et c'est comme cela que ça vient, je pense. D'abord tu as une idée préconçue de la chose, et puis au fur et à mesure, tu apprends à nuancer xD En tous cas, c'est comme cela que je fonctionne! Mais c'est parfois dur de remettre en jeu ses idées préconçues. Par exemple, avant de lire l'ouvrage de Jacques Le Goff, je ne savais même pas quand la Renaissance avait été théorisée xD Je ne m'étais jamais posé la question, en fait x)
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Kitsune
17/1/2018 20:03:36
Lu ! Et c'est super intéressant !
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